Ce blog est destiné à accompagner la réflexion de la Ligue 42 sur la question de congrès: l’Education Populaire.Il permettra également de communiquer sur les évènements qu'organise la fédération départementale en 2013 et de suivre l'actualité relative à l'éduc pop'.

mardi 9 avril 2013

CONTRIBUTION : « L'EDUCATION POPULAIRE, MONSIEUR...."

Compte-rendu rédigé par Bernard Furnon
(Président du Cercle Condorcet de Roanne)

Jeudi 14 mars, à la salle Pierre Hénon de Mably, le comédien Gilles Guérin, en résidence à Castres, nous présentait un texte de Franck Lepage traitant de l'éducation populaire : « L'éducation populaire, Monsieur, ils n'en ont pas voulu ».
Franck Lepage, après une année à Sciences Po Paris, a été enseignant de classe de transition en 1974. Il se dirige vers le théâtre en 1980 et devient directeur du développement culturel à la Fédération Française des Maisons de Jeunes et de la Culture (FFMJC). En 2000, il tente de convaincre Marie-Georges Buffet d'engager une véritable politique d'éducation populaire. C'est un échec. Déçu, il quitte la FFMJC, continue cependant à militer et fonde en 2007 la coopérative d'éducation populaire et de transformation sociale « Le Pavé » à Rennes (www.scoplepave;org).

Il a donc écrit en 2007 cette conférence gesticulée : « il s'agit d'une forme intermédiaire entre le discours direct à l'adresse du public et le discours théâtral avec les personnages du passé ».
L'introduction annonce de façon très drôle son projet : « C'est ce qui m'est arrivé. Et c'est l'histoire que je vais vous raconter. Quand je dis « j'ai arrêté de croire à la culture », entendons-nous bien, c'est idiot comme phrase ! Non, j'ai arrêté de croire, pour être précis, en cette chose qu'on appelle chez nous la « démocratisation culturelle ». C'est l'idée qu'en balançant du fumier culturel sur la tête des pauvres, ça va les faire pousser, vous voyez ? Qu'ils vont donc rattraper les riches ! Voilà, c'est à ça que j'ai arrêté de croire ». Un des moments forts de ce spectacle est le récit de l'évolution de l'éducation populaire depuis 1942. Cette histoire lui a été fournie par Christiane Faure, sœur de Catherine, épouse d'Albert Camus.

En 1994, 50 ans après, Christiane alors âgée de 84 ans lui raconte son passé de professeur de lettres au lycée de jeunes filles d'Oran en Algérie ; elle dit sa honte d'avoir vu les noms des élèves juifs rayés à l'encre rouge ; elle organise alors des cours clandestins de préparation au baccalauréat, on la menace, elle persiste. Après le débarquement d'Algérie en novembre 1942, elle intègre le gouvernement provisoire dirigé par René Capitant et regagne la France en 1944 avec ce gouvernement provisoire. Elle apprend alors que Jean Guéhenno, en créant un service d'éducation des adultes, y prévoyait « un bureau de l'éducation populaire ». Christiane Faure accepte alors de s'en charger tout en quittant son poste de professeur à l'Education nationale. Il s'agit de développer l'esprit critique et la conscience politique chez le jeune adulte par le moyen des actions culturelles.

L'éducation populaire ne date pas de cette époque puisque déjà Condorcet, en 1792, affirmait : « Le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves ». Et c'est l'instruction qui apprend à raisonner. Jean Macé, en créant la Ligue de l'Enseignement en 1866, voulait de même éduquer le peuple. Christiane Faure, avec Guéhenno, relance cet idéal d'éducation qui doit concerner toute la durée de la vie.

Mais cette euphorie ne durera guère. Moins de quatre ans après, la rivalité entre gaullistes et communistes qui ne veulent pas voir le protagoniste contrôler l'éducation politique des jeunes adultes, va provoquer la fusion, en 1948, de l'éducation populaire et des activités sportives dans une direction générale de la jeunesse et des sports, bien inoffensive pour le pouvoir en place. Guéhenno démissionne et Christiane Faure retourne en Algérie diriger un service d'éducation populaire indépendant du sport.

Pourtant, l'élan est donné, une réflexion chez les instructeurs pousse à la création d'un ministère de l'éducation populaire et le nom d'Albert Camus circule pour le diriger. Nous sommes en 1956. Bientôt, le général De Gaulle en décidera autrement. Il faut récompenser André Malraux de sa fidélité. En 1959, Malraux demande un grand Ministère de la Jeunesse, terme qui rappelle trop Vichy. Michel Debré refuse et propose un Ministère des Affaires culturelles que Malraux accepte. Mais les instructeurs qui sont rattachés à cette administration déchantent vite. Les actions de ce ministère ont surtout pour but de flatter l'élite nationale en promouvant le génie de l'art français au niveau international. Les instructeurs et animateurs sont à nouveau rattachés à Jeunesse et Sports, de façon définitive.

Même avec la venue de la gauche au pouvoir en 1981, le culturel semble avoir pour but de casser le politique : l'exemple le plus frappant en est la commémoration du bicentenaire de la révolution. Au lieu de rappeler les conquêtes émancipatrices de 1789, Jean-Paul Goude, chargé de ces festivités, fait défiler les Africains nus avec des tam-tam et utilisent d'autres signes, tous plus anecdotiques les uns que les autres. La culture se réduit à l'esthétique sans relation marquée au social.

De plus en plus, l'oeuvre d'art contemporaine surprend par ses provocations comme l'action d'uriner sur la scène du Palais des papes d'Avignon ou comme l'alignement d'objets usuels voulant être une sculpture. Aussi assiste-t-on à un décalage de plus en plus grand entre, d'une part les jugements portés par les classes favorisées recherchant des intentions dans l'oeuvre de l'artiste, pouvant se dire admiratifs de l'habileté de l'auteur, et, d'autre part les visiteurs profanes marquant leur réprobation. Comme l'analysait Pierre Bourdieu, il manque au visiteur populaire les outils culturels permettant de décoder les réalisations exposées ce qui provoque chez lui un sentiment d'infériorité sociale.

Christiane Faure est maintenant décédée ; elle repose au cimetière de Lourmarin, auprès de sa sœur et de son illustre beau-frère. La rencontre avec elle a profondément marqué Franck Lepage qui a beaucoup réfléchi à ce que pourrait être une véritable éducation populaire. Selon lui, ce devrait être des actions culturelles variées qui rendraient lisibles aux yeux du peuple les rapports sociaux marqués par la domination, par les oppositions de classes, actions susceptibles de participer ainsi à la prise de conscience des réalités économiques par la jeunesse. Ca ne peut être seulement la mise en avant d'oeuvres artistiques dont le seul but est de se rapprocher des canons esthétiques officiels, objectif qui a le plus souvent pour conséquence d'éloigner un peu plus de la culture les populations les moins favorisées. L'art ne parvient alors qu'à creuser davantage le fossé existant entre riches et pauvres.

Telles sont les conclusions que nous avons pu tirer de cette conférence gesticulée suivie de la discussion que le public a pu mener avec le comédien Gilles Guérin.